Lettre ouverte du syndicat SUD éducation à la présidente de Nantes Université

Alarmé par les actions entreprises par le nouveau ministre de l'ESR et par ses prises de position, le syndicat SUD éducation vient de publier un communiqué fédéral : Un ministre de l'ESR au service de l'extrême droite et du patronat. Le syndicat SUD éducation de Nantes Université a souhaité interpeller Madame Carine Bernault sur sa position envers la circulaire de Monsieur Patrick Hetzel qui l'enjoint, comme les autres présidents d'établissements universitaires français, à faire usage de ses "pouvoirs de police" sur les campus en cas de manifestation étudiante en lien avec "le conflit au Proche-Orient".

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Faciliter et protéger plutôt qu’encadrer et interdire

Quelles garanties pour les libertés de manifester et les libertés académiques ?

Madame la présidente,

Le 4 octobre dernier, le ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (ESRI) a publié une circulaire destinée à rappeler aux présidents d’université leurs devoirs en matière de maintien de l’ordre face à des manifestations étudiantes en lien avec « le conflit au Proche-Orient ». Dans un communiqué de presse du même jour, le ministre Patrick Hetzel a justifié le bien-fondé de ses directives par le risque de survenue, sur divers campus, de « manifestations et prises de position de nature politique » allant selon lui « à l’encontre des principes de neutralité et de laïcité du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ». Les termes de la circulaire du 4 octobre insistent alors sur « l’obligation » faite aux présidents d’université de prévenir les « risques éventuels » et sur leur « responsabilité » en cas d’« inaction ». En conséquence, elle leur suggère « d’encadrer » toute « manifestation ou réunion prévue au sein de l’université et, le cas échéant, de l’interdire », voire de « requérir le concours de la force publique » pour y parvenir.

L’essentiel du contenu de cette circulaire a ainsi vocation à rappeler aux présidences d’universités les moyens juridiques dont elles disposent pour exercer leurs « pouvoirs de police » et à indiquer comment les exercer. Sa rédaction comme ses intentions sont ouvertement répressives en ce qu’elles visent à empêcher l’organisation, dans les établissements publics d’enseignement supérieur, de réunions ou de manifestations en soutien aux populations palestiniennes ou en faveur de la paix. Il s’agit là d’une injonction à entraver la tenue de réunions et de manifestations pacifiques pourtant garanties par les normes internationales qui déterminent les libertés académiques[1].

Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association vient, en effet, de rappeler aux « universités du monde entier » qu’il leur incombe justement de « les faciliter et de les protéger activement ». Sous sa signature, la déclaration du 2 octobre 2024 intitulée Sauvegarder le droit à la liberté de réunion pacifique et d’association sur les campus dans le contexte de la solidarité internationale avec le peuple palestinien et les victimes ne se contente pas de dénoncer les multiples atteintes illégales à la liberté de manifester et de se réunir déjà observées depuis un an dans de nombreuses universités. Elle réaffirme surtout avec force que les manifestations et réunions étudiantes sur les campus constituent des modalités licites d’usage de la liberté expression et que celles-ci se trouvent légitimement incluses dans le périmètre des libertés académiques qu’il convient de défendre et de préserver.

Madame la présidente, nous souhaitons porter à votre attention les passages de cette déclaration qui précisent les devoirs qui vous incombent en matière de rassemblements pacifiques d’étudiants :

« Étant donné le besoin public pressant auquel répondent les manifestations étudiantes face à la multiplication des atrocités commises à l’encontre des Palestiniens, comme l’ont récemment réaffirmé les arrêts de la CIJ et la dernière résolution des Nations unies, les autorités et les institutions universitaires devraient chercher des moyens de faciliter ces manifestations en faisant preuve d’un plus grand degré de tolérance.

Les universités et autres établissements d’enseignement ont une occasion importante de tirer des enseignements de l’expérience du mouvement universitaire de solidarité avec la Palestine. Il est essentiel de créer des environnements sains et prospères sur les campus pour tous les étudiants, en garantissant la diversité des points de vue, afin de favoriser des discussions plus ouvertes et un dialogue constructif sur les questions controversées, de contrer les récits stigmatisants, de contester les chambres d’écho qui empêchent un véritable échange d’idées et de ‘‘réduire les effets délétères de l’extrémisme idéologique’’. Les universités doivent favoriser une culture de recherche ouverte et de dialogue respectueux, qui garantit la survie des institutions démocratiques et des droits et libertés de l’homme.

En citant les étudiants, le discours insistant sur le fait que ‘‘la protestation n’est pas une activité académique, et doit donc être exercée en dehors du campus’’, néglige la possibilité de reconnaître que l’exercice des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association sont en soi des actions essentielles d’apprentissage des compétences pour les citoyens, et en somme pour la vie elle-même. »

Dès lors, Madame la présidente, comment entendrez-vous agir ou réagir dans le cas où l’établissement se trouverait confronté à des manifestations ou réunions étudiantes en lien avec la situation en Palestine ? Appliquerez-vous avec loyauté et rigueur les directives de la circulaire ministérielle du 4 octobre 2024 qui visent à les empêcher ? Vous tiendra-t-il au contraire à cœur d’user de votre indépendance et de votre autonomie d’action pour favoriser l’existence d’un « véritable échange d’idées » dans le respect de la fonction démocratique, ouverte et citoyenne de nos universités, précisément vouée à « réduire les effets délétères de l’extrémisme idéologique » ?

Nous vous remercions par avance de la réponse que vous ne manquerez pas d’apporter à cette question cruciale dans le contexte politique actuel et à venir. Dans cette attente, et nous vous prions de bien vouloir agréer, Madame la présidente, l’expression de nos salutations dévouées et respectueuses.

                                                                                 Le syndicat SUD éducation 44

 

[1] Notamment la Recommandation de l’UNESCO de 1997 et la Recommandation de 2006 du Conseil de l’Europe.