A travers la « loi Dussopt » (n°2019-828 du 6 août 2019) votée à l’Assemblée nationale en mai 2019, le gouvernement d’Emmanuel Macron prétend « bâtir un nouveau contrat social » avec les agent-e-s de la fonction publique. Mais pourquoi donc ? Pour « offrir davantage d’agilité et de souplesse »… Mais à qui donc ? Et bien aux « employeurs publics » ! L’application de cette loi n’est pas sans conséquences sur le rôle alloué aux Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Le point syndical sur un nouveau projet managérial…
Une réforme des CHSCT complexe et lourde d’enjeux
Fini les Comités techniques (CT) et les Comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT). Le décret n°202-1427 du 20 novembre 2020 prévoit, en lieu et place, la création des « Comités sociaux d’administration » (CSA) et de « formations spécialisées de comité » en matière de santé au travail (obligatoires dans les établissements publics de plus de 200 agent-e-s). De nouvelles appellations mais rien de nouveau en somme ? Il est vrai que les CSA vont continuer à être consultés sur les projets de texte réglementaires ou les lignes directrices en matière d’organisation, de carrière ou d’égalité, pendant que les « formations spécialisées » se concentreront sur les conditions de travail des agent-e-s avec la possibilité d’effectuer des visites (en priorité sur les sites où des problèmes ou des souffrances ont été portées par des agent-e-s au Registre de santé et de sécurité au travail - RSST) ou des enquêtes (suite à tout accident survenu sur le lieu de travail). Le décret prévoit toutefois la possibilité de court-circuiter les « formations spécialisées » en faisant statuer le CSA sur une question normalement obligatoirement traitée par ce comité spécialisé. Comme en dispose l’article 77 du décret : « L’avis du comité se substitue alors à celui de la formation spécialisée. » On imagine déjà l’usage stratégique qui pourra en être fait pour affaiblir la défense des conditions de travail des agent-e-s !
Quand le droit butte contre un projet managérial
Le problème c’est que le décret prévoit également la possibilité de créer des « formations spécialisées de site ou de service » (qui constituent l’équivalent des CHSCT spéciaux ou de site que nous connaissons actuellement) à condition qu’un « risque professionnel particulier » y soit discerné. C’est là que ça se corse… puisque l’interprétation de la loi laisse libre court à toutes les acceptions du terme « particulier ». Le risque doit-il être observable sur un site mais pas sur les autres ? Il n’existerait, dans cette logique, que des problèmes de manipulation de produits dangereux dans les laboratoires en médecine mais pas en biologie par exemple, car ce risque devrait être « spécifique » à un site ou à un service particulier pour justifier la création d’une « formation spécialisée de site ou de service »… Comment traiter, dans ces conditions, de risques transversaux comme les risques psycho-sociaux (RPS), particulièrement accentués par les réformes successives des Universités et par la restructuration actuelle de Nantes Université ? Alors que les cas de souffrance au travail se multiplient à Nantes Université, la solution proposée par les services de la Présidence consiste à créer des « commissions de prévention ». Celles-ci auraient les mêmes attributions que les CHSCT spéciaux actuels de notre établissement et donc des « formations de site ou de service », mais sans les garanties prévues par la loi quant à leur composition et à leur périmètre d’action. Mais pourquoi donc ? Parce que ça permettrait une gestion de « proximité » dans la « souplesse » qui serait plus « opérationnelle », selon l’administration. Mais alors, qu’en est-il de la responsabilité de l’employeur ? L’employeur n’aurait, selon l’administration, de toute façon pas l’obligation de mettre en œuvre un avis rendu par une « formation spécialisée ». Les traces produites dans des instances officielles comme des « formations spécialisées de site ou de service » ont pourtant une valeur juridique en cas de conflit porté devant la juridiction administrative… Ces fameux « avis » permettent aux agent-e-s de faire valoir leurs droits, ce que des « commissions de prévention » visant uniquement à huiler la machine RH ne permettent pas. Notons que l’administration prévoit une remontée des problèmes vers la « formation spécialisée du comité » (ou du CSA) uniquement si les « commissions de prévention » le jugent utile. Autant dire qu’en l’absence de garanties sur la composition desdites « commissions » et de leurs prérogatives, il y a fort à parier pour que rien ne remonte jamais...
Vous avez dit « dialogue social » ?
Les organisations syndicales, unanimes sur la nécessité d’assurer un cadre réglementaire bien adapté à la défense des conditions de santé au travail des agent-e-s, n’ont pour l’heure pas été entendues… Le projet de refonte des CHSCT spéciaux actuels vers des « commissions de prévention » est d’ailleurs resté flou malgré les questions posées le 6 avril dernier à l’occasion d’un « débat ». Le mystère concernant leur composition, leur fonctionnement et leurs attributions sera en effet levé par un « groupe de travail » qui n’existe pas encore... Le 9 mai 2022, le CHSCT-Etablissement (future « commission spécialisée » du CSA) a pourtant été appelé à se prononcer sur la création de ces « commissions de prévention » dont les contours seront définis ultérieurement… L’ensemble des organisations syndicales qui y siègent (CFDT, UNSA, SNPTES, FSU, CGT, SUD) ont voté contre ce projet, à nouveau rejeté de façon unanime au CT du 10 mai 2022. L’administration consulte, certes, mais dans les espaces qui l’autorisent visiblement à ne rien faire des desiderata de ses administré-e-s. Et lorsque ces desiderata sont énoncés en instance, on s’étonne qu’ils ne se soient pas exprimés dans les « groupes de travail ». Une belle illustration de la conception du « dialogue social » de notre établissement !